Manifeste pour l’Albanie et la France
pour notre Humanité.
Introduction :
Historien du Poitou, fonctionnaire de l’État, je prends la
plume pour dénoncer une situation qui nous concerne tous, relatée par les
médias, préoccupant nos « magistrats » (au sens antique, romain)
comme nos élus mais que nous ignorons dans le détail puisque par son essence
même elle ne nous touche pas directement : je veux parler de l’immigration
et du statut des réfugiés politiques.
Il y a encore trois jours, j’ignorais quasiment tout des
Albanais, tout de la procédure pour obtenir le statut de réfugié politique.
Hier j’ai entendu et vu.
Aujourd’hui j’ai compris et je vous écris.
1er jour,
mardi 17 décembre
Un Albanais
que j’appellerai ici Alexandre m’est présenté par le chef d’établissement où il
est scolarisé pour me faire part de sa démotivation. Il m’est demandé d’user de
mes relations pour trouver des fonds lui
permettant de reprendre dans un conservatoire le violon qu’il pratiquait depuis
10 ans de façon intensive dans son pays. La musique d’après le chef
d’établissement pouvant peut-être le remettre en confiance.
À mon
bureau je le découvre et par mes nombreuses questions je finis par comprendre dans
quel imbroglio et quelle impasse lui et sa famille se trouvent. Le 12 août
2012, ils ferment définitivement les portes de leur grande maison à Elbasan et
prennent le bateau à Durres pour Bari dans les Pouilles. Ils restent une
dizaine de jours à Bolsana, en Etrurie,
chez son oncle maternel (Ardian, de prénom illyrien, arrivé à 21 ans en 1995 en
Italie, gérant d’un magasin de matériaux). Ils prennent l’avion à Rome pour
gagner la France (aéroport Charles de
Gaulle, c’est un nom plutôt rassurant pour le père d’Alexandre qui depuis
sa naissance n’a cessé de résister…).
Les quatre immigrés se rendent ensuite à au chef lieu régional. L’un des oncles
paternels y a fondé une famille. Arrivé en 1991, à 23 ans, il a passé un C.A.P.
de boulangerie-pâtisserie, s’est marié avec une française préparatrice en pharmacie,
a un petit garçon Gabriel et assure la sécurité plusieurs jours dans un illustre
immeuble parisien et à plus de 300 km le restant de la semaine. Beaucoup de
voyages, peu de sommeil, « mais je
suis intégré… ma femme est française, mon garçon est parfaitement bilingue»
me dit-il au téléphone. C’est à la préfecture régionale que la famille
d’Alexandre est enregistrée. Elle est logée provisoirement dans un monastère
pour trois mois, de la fin août au 16 novembre. L’accueil y était
chaleureux … Mais il fallut partir pour une ville voisine, conduit dans un
CADA en tant que demandeurs d’asile en attente du statut de réfugié pour PADA-MADA
services dépendants de l’association COALLIA (premiers barbarismes pour vous,
il y en aura d’autres : CADA ou centre d’accueil Demandeur d’asile, PADA
Premier Accueil des Demandeurs d’asile,
MADA ou Mise à l’Abri des Demandeurs d’asile). Ils sont placés dans un hôtel pour six mois,
mi-novembre à mai, mais sans pouvoir
cuisiner. « On mangeait froid, des
sandwichs… ». Ils passent encore quelques semaines dans un autre hôtel
dans la ville. Au début de l’été, par décision préfectorale,
ils changent de département, s’éloignent par conséquent de leur parent, pour
être installés dans un logement social de COALLIA. « On a vécu ce déplacement comme une punition…la plupart sont restés, pas
nous. Jamais monsieur, je n’avais pensé
un jour vivre dans un tel village… » me dit Alexandre. Dans sa 19ème
année depuis septembre 2013, il amorce sa troisième seconde ! La première
en Albanie et deux secondes professionnelles depuis son arrivée en France … une
avec aménagement de l’emploi du temps dans le chef-lieu régional et la
troisième à plus de 150 km dans une petite ville en septembre 2013 dans une filière imposée en raison des places
disponibles.
De mes
études universitaires, je retiens seulement
de l’Albanie son « enclavement » économique (choix délibéré de
la dictature communiste stalinienne) et historique (de la Grèce hellénistique à
l’Empire ottoman). Je constate rapidement qu’il en est de même de la communauté
albanaise en France, dans ma région : famille isolée, élève égaré,
individus à la dérive… Finalement après
avoir subi un enclavement de l’intérieur et de fait à l’échelle européenne, ce
peuple est victime d’un ostracisme déguisé par une conjoncture de crise.
Une famille expatriée…
L’éphèbe ( ἔφηϐος) debout devant mon bureau a tout d’Alexandre le
Grand.
Il aurait pu servir de modèle à Lysippe le sculpteur attitré du conquérant au IVème siècle av. J.-C. . Je pense à l’Epire (au sud de l’Albanie) et ces liens étroits avec la péninsule apennine. À ce peuple des Alpes dinariques en relation suffisamment étroite avec les Etrusques au VIIème siècle avant notre ère pour avoir en commun la langue (le tosque). Tandis qu’au nord, de l’idiome illyrien allait naître le guègue, deuxième élément de l’albanais moderne. Mais revenons à l’époque grecque. Au milieu du IVème siècle, l’ambitieux Philippe II de Macédoine épousait Olympas sœur du roi des Epirotes, qui lui donna un illustre héritier, Alexandre le Grand. L’Epire entrait alors sous influence macédonienne puis hellénistique tandis que l’Illyrie devenait une province romaine où des colonies étaient fondées essentiellement par César et les triumvirs.
Je suis bien conscient que tout nous rapproche mêmes références culturelles, histoire partagée ou « croisée » mais également que tout nous sépare. N’est-ce pas encore les chevaliers de Blois et Vendôme, de Champagne et de Flandre engagés dans la IVème croisade conformément aux injonctions d’Innocent III en 1198 qui ont été « contraints » en 1204 de razzier les rivages orientaux de l’Adriatique au profit de Venise en guise de paiement des navires fournis pour soi-disant aller en Egypte et à Jérusalem ? Finalement pendant cinq siècles, l’Adriatique séparera l’Europe chrétienne de l’Empire ottoman dont les marches sont justement les massifs dinariques, l’Albanie.
"Alexandre" |
Il aurait pu servir de modèle à Lysippe le sculpteur attitré du conquérant au IVème siècle av. J.-C. . Je pense à l’Epire (au sud de l’Albanie) et ces liens étroits avec la péninsule apennine. À ce peuple des Alpes dinariques en relation suffisamment étroite avec les Etrusques au VIIème siècle avant notre ère pour avoir en commun la langue (le tosque). Tandis qu’au nord, de l’idiome illyrien allait naître le guègue, deuxième élément de l’albanais moderne. Mais revenons à l’époque grecque. Au milieu du IVème siècle, l’ambitieux Philippe II de Macédoine épousait Olympas sœur du roi des Epirotes, qui lui donna un illustre héritier, Alexandre le Grand. L’Epire entrait alors sous influence macédonienne puis hellénistique tandis que l’Illyrie devenait une province romaine où des colonies étaient fondées essentiellement par César et les triumvirs.
Casque épirote ( coll. Zak Baruti, Italie) |
Je suis bien conscient que tout nous rapproche mêmes références culturelles, histoire partagée ou « croisée » mais également que tout nous sépare. N’est-ce pas encore les chevaliers de Blois et Vendôme, de Champagne et de Flandre engagés dans la IVème croisade conformément aux injonctions d’Innocent III en 1198 qui ont été « contraints » en 1204 de razzier les rivages orientaux de l’Adriatique au profit de Venise en guise de paiement des navires fournis pour soi-disant aller en Egypte et à Jérusalem ? Finalement pendant cinq siècles, l’Adriatique séparera l’Europe chrétienne de l’Empire ottoman dont les marches sont justement les massifs dinariques, l’Albanie.
Contre vents
et marées, au flux et reflux de l’Histoire, ces hommes et ces femmes
traversèrent mers et montagnes pour trouver leur Graal : de l’Occident
vers l’Orient, de l’Orient vers l’Occident.
Le père d’Alexandre est venu avec sa femme et ses deux
garçons. Cette décision pensée et pourtant déraisonnée est sans retour. Il a
accepté de tout abandonner à cinquante ans, son magasin de portes blindées, la
maison familiale, ses amis. Il a laissé derrière lui ses biens, coupé court à
tous ses projets notamment celui de faire de son fils aîné un grand violoniste,
rompu les amarres avec toutes ses attaches ( la terre, les tombes de ses
ancêtres, les chants isopolyphones des mariages, le raki des jours de fête). Ses
larmes finissent par creuser les sillons autour de ses yeux… par effacer les
fossettes de ses joues…
Ses frères et sœur avaient tenu pourtant le même discours invitant
le père d’Alexandre à les rejoindre en France. Trois d’entre eux étaient
arrivés dès 1991 et avaient obtenu « facilement »
le statut de réfugié politique. Six ans plus tard arrive la sœur cadette… Mais
le père d’Alexandre était resté insensible aux chants des sirènes. Il croyait
en son pays, espérait tout du processus de démocratisation annoncé le 13
novembre 1990. En 2006 quand il se rend à la sépulture de sa mère à Paris, il
est fier de sa réussite économique, fier de sa maison, fier de ses enfants,
d’Alexandre qui progresse bien au violon. Et pourtant, six ans plus tard,
l’homme mûr (49 ans) prend la décision de tout abandonner. Son renoncement est
un constat d’échec terrible à ses yeux
et surtout devant ses frères et sa sœur à qui il avait tenu tête… tout cela pour
des raisons politiques graves.
La fibre politique anime chacun d’entre eux, depuis plus de
deux générations. Leur oncle est venu à la Sorbonne dans l’entre deux-guerres
pour étudier l’histoire. De retour en Albanie, il enseigne à l’université et
figure parmi les fondateurs d’un parti d’opposition. Le monarque Zob Ier est considéré
comme le subterfuge de l’Italie fasciste qui en échange d’une
« protection » plus qu’intéressée, promet d’obtenir le rattachement
du Kosovo et de l’Epire grecque à la « Grande Albanie ». Les
évènements s’accélèrent, se bousculent
et culbutent.
Mussolini occupe l’Albanie annexée jusqu’en septembre 1943
qu’il confie ensuite à Hitler, après la fondation de la république de Salo. Un
autre homme politique, Enver Hodja/Hoxha, également épris de la France, enseignant
au lycée français de Korçë, fonde en novembre 1941 le Front de libération
parvenant à galvaniser les forces résistantes armées communistes et à écraser
les opposants dans une guerre civile. En janvier 46, la fondation de la « république populaire socialiste des
Aigles » ne laisse plus d’espoir, ni de place à l’opposition. C’est
l’exil, la France, les États-Unis. Les tentatives de retour du grand oncle
d’Alexandre, appuyées par la CIA, n’aboutiront pas. La République stalinienne
« orthodoxe » voguera à la dérive pendant 36 ans avec le même
capitaine à la barre. Durant cette période dans le clan familial,
l’arrière-grand père d’Alexandre périt en prison en 1953-1956. Le grand-père,
après avoir refusé de coopérer avec la police secrète, disparaît
tragiquement à son tour: une curieuse
électrocution dans un bâtiment en chantier. Les oncles d’Alexandre ne sont pas dupes, la
démocratisation officielle n’est qu’une illusion. Ramiz Alia, le dauphin
désigné en 1982 par Hoxha, a beau libéraliser le régime, à l’ouverture des
frontières en 89-90 les Albanais franchissent le pas… C’est là que trois des
cinq enfants de la fratrie arrivent en France. Depuis le 31 mars 1991, les
élections sont libres, le pluralisme officialisé… mais pour Alexandre l’élection
en 92 du démocrate Sali Berisha c’est du pareil au même. « Ce sont les fils des communistes qui sont
encore au pouvoir et exercent des pressions sur les partis de droite. … Mon
père a été menacé de mort… mon petit-frère a failli être kidnappé,… parce
que nous ne voulions pas abandonner notre combat politique.» La police fait
savoir qu’il ne serait plus possible pour le père d’Alexandre de contribuer au
financement du parti. La fiscalité s’acharne sur son entreprise. La caisse du
magasin est saisie …
Le résultat est un pays ruiné, exsangue… livré à la violence
mafieuse… aux narcotraficants … En 1997
c’est le tour de sa tante Lumturi… L’intégration se fait naturellement. Mariage
avec des natifs, emploi dans les secteurs où les immigrés sont
proportionnellement deux à trois fois plus nombreux que les Français de
naissance ( Hôtellerie, sécurité…). Certains percent même le « plafond de verre », entrent dans la
banque, deviennent fonctionnaire, ont une place à responsabilité à Hong-Kong
pour une grande firme française. Après quinze ans d’hésitation, en août 2012, le
père d’Alexandre finit par franchir le pas. Seulement plus de vingt ans se sont
écoulés depuis la première séparation de la fratrie. Les facilités accordées
aux uns ne sont plus de mises … entre temps la France et l’Europe
subissent des crises économiques et structurelles profondes qui se traduisent
par un renforcement drastique du contrôle des frontières. Dans une France qui se
dit terre d’accueil, le primo-arrivant perd pied et glisse à la dérive…
L’errance dans une terre d’asile
Je résumerai la situation d’Alexandre et des siens par trois
mots : contradiction, isolement, incompréhension… Contradiction de la France,
isolement physique des individus, incompréhension des personnes chargées de
fonction ou de protection…
De l’immigration totale, les réfugiés politiques ne
constituent qu’un maigre élément mais c’est la partie émergente de l’iceberg…
qui cache la profondeur du mal. (300 000 demandes d’asile en Europe en 2012 pour 1,7 millions d’immigrants légaux de
citoyens extra-européens, 10% des premiers titres de séjour en 2012 en France,
18800 titres de demandeurs d’asiles pour 191500 titres ). Peut-on encore parler
d’une France terre d’accueil comparée aux onze pays européens qui sont devant
nous quant au rapport des demandeurs d’asile à la population totale ?
« Un projet de loi sur l’asile est
en préparation. Il entend dissuader en amont les demandes, accélérer le
traitement des requêtes infondées et éloigner les déboutés. » Thierry Pech, L’Immigration,
mythes et réalités, dans Alternatives
économiques n°330 décembre 2013.
La France se révèle à la fois
généreuse et volontairement stricte. La politique de l’immigration est définie
à l’échelle européenne. En 1999, par le traité d’Amsterdam, la gestion du droit
d’asile devient une compétence communautaire mais sans efficacité puisque l’UE
n’est toujours pas parvenue à fixer un statut européen du réfugié. En 2004, la création
de la Frontex ne répond qu’en partie aux attentes… impuissante en raison de son
petit budget de 85 millions d’euros. Dans un cadre précis, l’espace Schengen
prévoyant la libre circulation des personnes à l’intérieur des frontières de
l’Union, la gestion de l’immigration
reste à la discrétion de chacun des États (maîtrise des frontières et contrôle
de la circulation). Il définit sa liste des « pays sûrs » dont les
ressortissants peuvent difficilement obtenir le statut de réfugié. Dura lex sed lex …L’Albanie est introduite dans cette liste le 3 mai
2006, puis retirée par arrêt du conseil d’État du 13 février 2008. Les préfectures
régionales gèrent un quotidien enregistrent les demandeurs d’asile puis les
placent. Ainsi la famille d’Alexandre est placée à son arrivée près de la
capitale régionale, de août 2012 à juin 2013, puis dans une préfecture
départementale voisine… sous le couvert
de l’office du Droit du travail… La loi interdit scrupuleusement à tout
demandeur d’asile de travailler tant que le statut de réfugié n’est pas
attribué. Durant l’instruction du dossier et la décision de justice, la famille
dispose d’un titre de séjour provisoire. Alexandre devenu majeur en septembre
2013 est en droit d’obtenir de la préfecture un récépissé provisoire… En
attendant, la France se montre généreuse. Terre d’asile, pays des Droits de
l’Homme, elle est fière de ses structures d’encadrement. COALLIA gère des logements sociaux attribués gracieusement aux familles arrivant. Une aide
sociale est chargée d’intervenir pour ces familles auprès des administrations sans prendre parti pour
autant (montage de dossiers de demande d’asile, suivi administratif, veille
sanitaire, suivi de la scolarité des enfants, insertion socioprofessionnelle).
La loi rien que la loi… Le centre d’accueil
pour demandeurs d’asiles (CADA) verse à la famille d’Alexandre 470 €
mensuels. Pendant ce temps, Alexandre et son frère sont scolarisés. L’Éducation
nationale leur ouvre ses portes sans discourir. Havre de paix, elle assure
pleinement sa fonction de service public. À leur arrivée, Alexandre est placé
dans un lycée professionnel avec un
aménagement d’emploi du temps le déchargeant des ateliers et des stages réglementaires pour apprendre le
français tandis que son frère cadet entrait directement au collège. Celui-ci
s’intègre rapidement. Ce qui n’est pas le cas d’Alexandre qui retrouve
plusieurs Albanais dans sa classe. « Je
devais apprendre le français…mais on parlait toujours en albanais. » En septembre dernier, les voici tous les deux
dans un nouvel établissement, avec de nouveaux élèves dans un autre
environnement : celui d’une petite ville en déprise économique à taux
élevé de professions et catégories socio-professionnelles (PCS) défavorisées et
une population étrangère ou de souche étrangère importante (tunisiens,
marocains, algériens, maliens, kosovars, albanais et turcs).
L’automne passe ainsi dans l’attente quand soudain le 9
décembre, la famille prend connaissance de la décision de l’Office français de
protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui tombe comme un couperet :
rejet de la demande d’asile. C’est difficile à encaisser… la famille est
abasourdie. Les oncles et la tante d’Alexandre intégrés depuis vingt ans ne
comprennent pas. Pour eux, c’était presque automatique… Ils ignoraient les
nouveaux obstacles établis depuis quelques années. L’un des oncles me dit au
téléphone qu’il découvrait comme moi l’efficacité d’une pareille évolution. Il
regrette d’avoir encouragé son frère à rejoindre la fratrie car il prend
conscience que la situation a bien changé. Malgré le refus, le père d’Alexandre
a encore la possibilité de faire une demande de recours.
C’est alors que je suis sollicité pour intercéder en tant
que membre d’un club service. J’accepte de le recevoir à mon bureau. Je
découvre un garçon en détresse en raison de sa situation scolaire grave et de
la situation administrative de toute sa famille.
Force et faiblesse des clubs services
Alexandre est debout devant mon bureau. Après insistance, il
accepte de s’asseoir et répond à mes questions. Le proviseur adjoint m’avait
demandé de voir s’il n’était pas possible de financer des cours de violons au
conservatoire. Son état déprimé et ses très mauvais résultats scolaires
inquiétaient le proviseur qui craignait un risque de décrochement. Surpris par
sa requête, pourquoi un jeune homme de 18 ans qui jouerait de la clé de fa se
retrouve avec « une clé de 12 » en C.A.P. mécanique auto ? Je lui demande ce qu’il faisait en Albanie. « J’ai fait du violon pendant 10 ans de
façon intensive… deux heures par jour et souvent en classe, ma professeure
venait me chercher pour faire des exercices et suivre son cours. … Je suis venu
avec mon violon en France… je n’ai pas de partitions, je n’ai rien avec moi
sauf mon instrument … je n’en joue plus… » Dubitatif, je
m’interroge. Pourquoi ne travaille-t-il plus son instrument ? Pourquoi le
dit-il froidement avec indifférence ? Fidèle à mes engagements au sein de mon club,
j’accepte d’intervenir, de « servir d’abord ».
Mais dans ce premier jour, je ne suis au courant de rien, au
fur et à mesure qu’Alexandre me parle, j’entre dans un labyrinthe fléché dans
une langue étrangère : OFPRA, CNDA, CADA, COALLIA… Je me perds et panique
pour Alexandre et les siens… comment eux pourraient-ils comprendre si moi
français de souche, de familles poitevines remontant à Henri IV fixées dans un
rayon de 20 km depuis cinq siècles, je ne m’y retrouve pas ?
Mon ignorance a cela de bon, elle m’oblige à interroger, à
téléphoner et surtout à faire répéter Alexandre pour comprendre son parcours,
pour vérifier la cohérence de toute cette histoire. De fil en aiguille, je
comprends les rouages, je saisis les points sensibles, la complexité des
instances et leur mode de fonctionnement…
Mon premier souci est de le sortir de ce lycée professionnel
où véritablement il n’a rien à y faire. Mais pour autant, il ne faut pas qu’il
démissionne tant qu’il n’a pas trouvé de solution durable. D’après le bulletin
trimestriel qu’il me présente, 14/20 en art appliqué et ses connaissances
musicales, je lui suggère de se tourner vers la restauration (service ou
cuisine). Il ne dit pas non. Je contacte un ami restaurateur qui me fait savoir
qu’il ne prend plus personne, il vient d’être déçu par deux apprentis qui ont
du démissionner. Après insistance, il accepte cependant de nous recevoir. Au
téléphone, le directeur du CIFA (Centre interprofessionnel de formation des
Apprentis) me fait savoir qu’il ne pourra le prendre dans l’année en cours
seulement si le contrat d’apprentissage est signé avant le 31 décembre sinon ce
sera pour septembre 2014. Alexandre me regarde, ses yeux humides me
supplient… « pas de quatrième
seconde…s’il vous plaît, j’aurais 19 ans alors … ». Il voudrait à
juste titre changer immédiatement. À mon tour je suis stressé. Nous sommes le
18 décembre, à trois jours des vacances de la Noël, et il me faudrait dégoter à
la fois un contrat d’apprentissage et une inscription au CIFA. Plus grave, mes
deux amis m’indiquent que rien ne peut être fait sans le titre de séjour
valable d’Alexandre. C’est alors que les problèmes administratifs refont
surface. Alexandre m’indique que depuis sa majorité il n’a pas reçu de récépissé
de demande de titre de séjour. Je n’y comprends rien. Je téléphone à la
sous-préfecture, la personne responsable accepte de me prendre en ligne entre
deux entretiens après avoir insisté lourdement. Elle ne répond au téléphone que
le matin, l’après-midi étant réservée aux audiences. Après avoir fait mes
civilités, … « votre temps est compté… chaque cas est complexe… etc… etc… », je lui demande pour quelle raison Alexandre
majeur depuis septembre n’avait pas de récépissé de demandeur d’asile. Elle me
répond qu’il lui manque une pièce au dossier… puis après mon insistance, me
révèle que cette pièce est à la préfecture régionale. Aimablement, elle
m’indique que dans ces jours elle relancerait la préfecture pour faire avancer
les choses… Deux jours après, j’apprenais d’un autre service, que le récépissé
avait tardé à venir par pure stratégie. En retardant l’octroi du récépissé,
l’administration pouvait espérer que la décision judiciaire soit rendue. En cas
de rejet de la demande d’asile, elle n’avait plus alors à fournir de récépissé.
Ce fut le cas. De septembre à début décembre, le récépissé tardait à venir (sous
prétexte qu’il manquait une pièce), puis quand le rejet de la demande d’asile
fut prononcé le 9 décembre, la préfecture n’avait plus à fournir de titre
provisoire de titre de séjour.
D’un problème qui me semblait simple, trouver une école et
un employeur, je me heurtai à une seconde difficulté encore plus complexe cette
fois-ci d’ordre administratif. En même temps j’expliquai à Alexandre qu’on
avançait à pas de fourmi certes mais on avançait. Je me pris au jeu… comment
aider Alexandre sans gêner qui que ce soit, les administrations et services
comme les employeurs. Il y avait malgré
tout espoir : le restaurateur acceptait de voir Alexandre, le directeur du
CIFA acceptait de signer avant le 31 décembre… la sous-préfecture faisait le
nécessaire pour regrouper l’ensemble du dossier administratif d’Alexandre.
2ème jour
mercredi 18 décembre
Je me libère le lendemain après-midi pour démarcher avec
Alexandre…
Nous décidons ensemble de franchir étape par étape les
obstacles plutôt que de nous décourager. Nous nous rendons chez le
restaurateur… à qui je fais un bref résumé de la situation en insistant sur les
difficultés et les atouts d’Alexandre… 10 ans de violon c’est une preuve de
persévérance et de patience… Le restaurateur est séduit par sa prestance… Il
accepte mais ne peut signer sans l’avis de la Chambre de commerce et
d’industrie (CCI). Nous sortons du restaurant enjoués et convaincus d’avoir
emporté une première bataille. De ce pas nous nous rendons aussitôt à la CCI. Usant
de mes relations, je parviens à être reçu immédiatement par la secrétaire du
directeur qui nous dirige vers la responsable des contrats d’apprentissage.
Optimiste et séduite également par notre histoire, elle laisse entendre qu’il y
a moyen, en attendant le récépissé de demandeur d’asile provisoire, de faire
retarder l’enregistrement du dossier une fois signé par le CIFA et
l’entrepreneur avant le 31 décembre, date butoir pour qu’Alexandre commence dès
janvier. Elle nous remplit même au préalable le dossier. Nous n’avons plus qu’à
retourner au restaurant. Gaiement et d’un pas ferme, nous nous y rendons. Je
vois les yeux d’Alexandre briller, les fossettes réapparaissent sur ses deux joues…
« Merci, Monsieur, c’est bien ce que
vous faîtes pour nous… » Hélas rien n’est fait, rien n’est garanti… !
À nouveau chez le restaurateur, le contrat d’apprentissage est immédiatement
signé. Nous n’en croyons pas nos yeux. Nous nous précipitons au CIFA où j’ai
appris que le directeur, également membre de mon club, se trouvait pour un pot
de départ. En aparté, il accepte de prendre le dossier pour le signer et le
remettre ensuite à la CCI.
Il fait nuit, les décorations de Noël scintillent … dans les
arbres … dans la ville rien que pour nous presque. Je raccompagne
Alexandre chez ses parents à une trentaine de kilomètres. Je tenais à les
rencontrer pour faire le point et les mettre en confiance. Soudain, je reviens
à une dure réalité. L’accès est sinistre à donner le cafard : chemin mi goudronné
serpentant derrière la gare et dans des friches. En garant ma voiture, je
m’inquiète pour elle. Dans quel état la retrouverai-je après l’entretien avec
la famille. Des vélos à même le sol, dépouillés pour la plupart, sans roues,
sans selle etc…
Alexandre passe devant moi, nous
prenons les escaliers. « Au premier
ce sont les étrangers qui ont obtenu un titre de séjour et sont
régularisés… » Nous poursuivons, sur un pallier une flopée d’enfants chahutent.
Tendrement Alexandre pose la main sur la tête de l’un d’entre eux et leur
demande de nous laisser le passage… Arrivé au troisième étage, je suis surpris
par une odeur fétide … Alexandre, sans que j’ai dit quoique ce soit, me précise :
« ici ce sont les wc et les salles
de bain… ». Deux couloirs étroits avec des portes entrouvertes d’où
s’échappent des miasmes écœurants. Enfin au quatrième et dernier étage, celui
des demandeurs d’asile, Alexandre me fait entrer dans une petite pièce, de cinq
mètres sur trois, une fenêtre en coin sur laquelle flotte un léger rideau en
nylon trop petit.
Deux lits tubulaires placés perpendiculairement le long des
murs, une table basse, une télévision, une petite table d’étudiant avec un
tabouret voilà la chambre de vie des parents ! La mère d’Alexandre, avertie
de mon arrivée, a placé sur la « table
basse » des cacahuètes dans deux coupes et des biscuits sous emballage
dans une corbeille à pain. Après les salutations, la mère d’Alexandre me
propose quasiment simultanément un jus d’orange et un café. Je ne peux refuser.
Je crois mesurer le sacrifice financier et l’humiliation morale que représente
pour eux quatre cette mise en scène. Nous échangeons quelques mots. Assis sur
le lit à ma droite, le père est désemparé, hagard, le visage crispé, anxieux, comme
dépressif. Ne parlant pas français, le pater
familias est contraint de laisser ses deux enfants et sa femme répondre
pour lui à mes questions. J’essaie en effet de comprendre leur parcours, les
raisons de leur choix… je leur demande de me montrer le bulletin scolaire de
chacun des enfants. Le petit frère en quatrième s’en sort très honorablement,
excepté en sciences naturelles et en histoire-géographique où les documents
inaccessibles font barrage. Quant à Alexandre la situation est plus que
préoccupante. Chaque professeur remue un couteau dans la plaie : « se désintéresse…ne comprend rien… paresse…et
manque de travail à la maison ». Intérieurement, je me dis « mais quelle maison ? »
Les professeurs ne peuvent pas s’imaginer la situation cauchemardesque dans
laquelle se trouve Alexandre et les siens. Comment avoir l’esprit à travailler
dans une section qui a été imposée et qui ne correspond pas du tout à ses
aspirations ? Comment pouvoir se concentrer en classe quand chaque matin
Alexandre se demande s’il recevra ses papiers administratifs… quand
chaque soir, il retrouve ses parents enfermés dans leur chambre sans avoir fait
quoi que ce soit sinon ressasser leur mésaventure… ? Comment pouvoir
travailler à la maison quand il n’y a pas de maison…pas de livres… pas d’accès
à internet… ? C’est une cellule point. Je repense alors au premier
entretien où je m’étonnais ouvertement qu’Alexandre n’ait plus joué de violon
depuis un an. Évidemment, dans un pareil cadre, il ne lui était guère envisageable
de faire de la musique sans que tout le couloir se plaigne de la
« gêne » occasionnée. J’avais honte de ma bêtise… et de mon ton
péremptoire !
Je ne les rassure pas. J’essaie de cacher ma surprise, mon
désarroi. Je joue la comédie. Plus je cherche à les aider moins j’y crois… mais
les regards du petit frère, de la mère, du père se dressent vers moi comme des
bras tendus. Un flash du tableau « le cri » d’Edvard Munch me
vient à l’esprit. Mais un cri « sourd »
imperceptible car ceux qui sont en face de moi n’ont pas le droit de crier … seulement
celui d’exister.
Je les abandonne…je m’enfuis, je reviens chez moi, bouleversé.
J’ai vu la détresse de près. Rien à voir avec les images du journal TV, rien à
voir avec les lignes d’encre… Cette détresse n’est pas « là-bas » mais au bout d’un chemin,
cachée entre les voies ferroviaires, la rivière et les zones marécageuses…
3ème jour,
jeudi 19 décembre
Pour avoir plus d’indications sur la situation
administrative d’Alexandre et sa famille, je recontacte la sous-préfecture,
entre 9h et 12h uniquement puisque l’après-midi ce sont les consultations.
Personne ne répond à 9h20… à 10h10 même résultat c’est peut-être la pause café.
On me décroche enfin vers 11h pour me révéler des points essentiels insoupçonnés.
Le récépissé ne pourra être remis qu’une fois la demande de
recours déposée, enregistrée et acceptée par la CNDA et puis la notification de demande de recours envoyée
par la CNDA à l’OFPRA. Contre cette notification envoyée en copie par l’OFPRA à
la sous-préfecture, un récépissé de demandeur d’asile provisoire pour une durée
de trois mois et reconductible jusqu’à la prononciation du jugement sera alors
remis. Autant dire qu’Alexandre n’est pas prêt d’avoir son « laissez-passer ».
Je suis à nouveau abasourdi car la demande de recours
signifie que l’OFPRA a déjà donné sa sentence. Ce n’est que maintenant que l’on
m’apprend que la demande d’asile a été rejetée depuis plus de 10 jours (9
décembre). Je ne comprends rien… on me parle de la CNDA, de l’OFPRA, de
recours, de notification, de récépissé comme si j’en connaissais
parfaitement les rouages…
En cherchant sur google je prends conscience que la
situation est plus que préoccupante, elle est urgente car soumise à un
calendrier précis.
La demande d’asile étant rejetée, la famille peut déposer un
recours à la CNDA dans un délai d’un mois, autrement dit avant le 9 janvier. Ce
recours doit être accompagné d’éléments nouveaux pouvant justifier la révision
de l’arrêt. Alexandre m’annonce que la famille est en contact avec une avocate
qui demande 1500 €. Les problèmes financier et calendaire me font oublier la
question du contrat d’apprentissage. À présent, le combat le plus urgent est
celui de la demande d’asile. Je comptais aider un individu voici que le sujet
devient pluriel : quatre personnes sans compter les oncles et la tante. J’essaie
de savoir ce que chacun d’entre eux peut apporter. Je dîne le vendredi soir
avec le président du club-service de la ville d’Alexandre. Sa contribution
n’est pas acquise : aider des Albanais… pour un procès qui a peu de
chances d’être gagné… tout le monde a en tête le cas « Leonarda » etc…
C’est alors que j’essaie de comprendre les raisons
politiques de leur exil… c’est alors que j’entre progressivement dans leur
intimité, et découvre l’histoire sur trois générations d’un clan… un système
d’entraides : un oncle maternel journalier et encore célibataire garde la
maison de la famille d’Alexandre à Elbasan. Deux autres oncles maternels dont
l’un en Italie (Bolsena) transfèrent de l’argent pour le gardien de la
propriété. Cette solidarité clanique s’exprime aussi dans le choix des prénoms.
Le nouveau-né prend le prénom de l’un des grands-parents… Le neveu peut choisir
celui de son(a) futur cousin(e). Un prénom peut être composé de la première
syllabe de chacun des parents …
Mais le plus important est évidemment l’engagement politique
de cette famille, leur espérance collective puis leurs désillusions successives.
La démocratisation d’un pays est un long processus, encore plus pour une
population réduite à la torpeur par quarante ans de dictature. La désillusion
est d’autant plus forte que le discours politique n’est plus ou pas forcément
adapté à une nouvelle réalité sans parler des règles essentielles bafouées (en
matière de liberté d’expression, par les moyens d’oppression et de
corruption …)
Aimablement cette même personne de la sous-préfecture
m’indique que de toute façon le récépissé ne permet par à son détenteur de
signer un contrat de travail. Nouveau coup de massue… Je commence à mesurer le
courage et la persévérance que doivent avoir chacun des demandeurs d’asile.
C’est un chemin parsemé d’embûches… l’obstacle en cache un autre immédiatement…
sans que vous sachiez au préalable l’itinéraire à prendre. Vous revenez sur vos
pas pour mieux sauter… mais vous perdez du temps et donc des chances de
gagner !
Enfin, cette douce personne me conseille de prendre contact
avec les services départementaux du droit au travail… plus à même de me
répondre sur les questions de droit pour un contrat d’apprentissage… Je raccroche, dépité. Que pourrais-je dire à
Alexandre qui allait d’une minute à l’autre quérir des nouvelles ?
Mais il y aussi l’assistance sociale de COALLIA par laquelle
je finis d’entrer en contact. Je la sens agacée : « Qu’est-ce qu’Alexandre a encore fait ?
… C’est mon travail … » Je lui
réponds « Non, madame, ce n’est pas
Alexandre qui est venu à moi, mais moi qui suis allé vers lui… ». Au
bout d’un certain temps, le climat s’adoucit. Elle tient cependant un discours
très négatif probablement par expérience, par devoir de neutralité. Je ne peux
lui en vouloir mais comprends combien aux oreilles des demandeurs d’asile, ses
paroles peuvent être déprimantes. Elle laisse entendre également comment
l’administration joue habilement avec le temps pour ne pas être « contrainte » de délivrer les récépissés. « Sed lex dura lex » disais-je il y a
quelques temps.
Samedi 28 décembre
Les jours défilent. Ce sont les vacances… naturellement
personne n’est joignable … le froid hivernal fige les moyens de
communication … Mardi 24 23h28,
Alexandre m’envoie un texto « joyeux
Noël a vous et a votre famille passez un bon reveillon ». Je ne peux
pas lui répondre. Par décence ou lâcheté ( ?), je préfère rester muet.
Cela me rend très mal à l’aise. Le surlendemain seulement, je décide de les
inviter tous les quatre pour passer la journée en famille. L’un de mes enfants,
de l’âge d’Alexandre, est justement avec nous.
Le samedi midi, je vais les chercher. Pour la deuxième fois,
je franchis cet espace sans nom… Ils ont revêtu leurs plus beaux habits …
En entrant dans notre salle à manger, ils découvrent le drapeau rouge frappé
des deux aigles placé sur le miroir face à la table dressée. « C’est très gentil monsieur … merci
d’avoir fait ça… ». Les langues se délient pendant le repas… les
verres se vident… se remplissent… Nous passons au salon. Assis devant l’âtre de
la cheminée, prenant un verre d’alcool de prune, Mustafa a les yeux qui s’illuminent.
Après en avoir bu quelques gorgées, il me regarde et m’adresse pour la première
fois la parole : « raki… ».
Alexandre reprend « Monsieur c’est
la première fois … ici, qu’on appelle mon père Mustafa … merci on est très content ».
Avant le départ…
Que faire… avant leur
départ pour leur cellule … pour l’Albanie ou pour leur nouvelle vie ?
J’ai réellement pris conscience de l’isolement dans lequel
ils se trouvent. Isolement géographique : dans un espace caché au bord
d’une petite ville en déprise. Isolement physique : il n’y a pas de moyens
de transport pour aller de l‘immeuble aux grandes surfaces de la ville. Le père
d’Alexandre fait trois à quatre kilomètres à pied chaque jour… Isolement
linguistique : dans l’immeuble il n’y a que des Albanais quasiment. On
vit, on parle, on mange comme en Albanie. L’enclave albanaise en Europe est
reproduite à l’intérieur de la France… Surprenant ! Comment apprendre le
français avec une séance d’1h30 hebdomadaire avec un groupe surchargé… .
COALLIA n’autorise pas l’accès à internet. Interdits de travailler, ils n’ont
pas les moyens d’entrer en contact avec la société. Finalement, n’isolons-nous pas
sciemment les étrangers pour expulser plus facilement ceux que nous ne voulons
pas intégrer ?
D’où cette incompréhension des uns (les clubs services, les
professeurs… ), d’où la très grande prudence des autres (les associations comme
COALLIA, l’administration… comme l’OFPRA).
Finalement, je vais à l’essentiel… le reste on verra
« demain ». Je propose au club service de la ville d’Alexandre la
création d’une « fraternité » France-Albanie. Dans le dictionnaire
d’Antoine Furetière, à la fin du XVIIe siècle, la « fraternitas » résulte de « l’intelligence, [de] l’union entre deux
frères deux amis, deux compagnies. Fraterniser signifie vivre en frères,
s’aimer en frères, vivre en bonne intelligence. » Cette nouvelle fraternité
consisterait à organiser régulièrement un dîner avec la famille d’Alexandre. La
régularité des rencontres briserait les murs transparents de la langue et
permettrait de se comprendre et de se respecter. Un soir par semaine, un membre
serait tenu de les inviter. D’ici juin, ils pourraient tisser des liens
d’amitié pouvant déboucher à un emploi le jour où la CDNA aurait donné son
verdict.
Dans l’attente
Cicéron reconnaît comme vertu essentielle l’« humanitas » combinant
l’intelligence à la sensibilité et à la bonté. Puissions-nous en faire le
propre de toutes les nations !
Qu’importe l’issue, je conserve en mémoire le premier regard
d’Alexandre qui me fait penser au vers de Paul Valéry dans « le Cimetière marin » : « Le vent se lève !… il faut tenter de
vivre !»
POUR ALLER PLUS
LOIN (ébauche)
Histoire
Vers 2000 av.
J.-C. : installation de tribus indo-européennes
VIIe-Ve siècle :
colonisation par les Grecs
IIe siècle av.
J.-C. : conquête romaine, intégration dans la province illyrienne
Ier siècle ap.
J.-C. : christianisation par saint Paul en Dalmatie et à Illyricum et
l’apôtre André en Epire.
395 ap. J.-C. au IXe
siècle : province de l’Empire romain d’Orient
1204 : 4e
croisade, les Vénitiens s’installent sur la côte grâce à l’intervention des
chevaliers de Champagne, de Blois et de Flandre… En 1272, Charles d’Anjou rex albaniae
milieu du XVe
siècle : Skanderbeg ou Georges
Castriote (originaire du village de Kastrat, au nord-est de l’Albanie),
héraut/héros national, capitaine musulman dit Iskander bey. Il redevient
catholique et tient tête au pouvoir
ottoman de 1443 à sa mort en 1468 sans avoir été vaincu.
1478 : sous
le joug ottoman
1912 : indépendance
1919-1946 : monarchie
sous influence de l’Italie fasciste, en exil à partir de l’occupation nazie en
1943, déchue en 1946 après la libération par les troupes communistes de Enver
Hoxha.
1946-1985 : dictature
communiste conduite par Enver Hoxha et puis par son dauphin , Ramiz Alia
(1985-1991)
I comme
Immigration
Balli Kombëtar :
parti anti-communiste fondé en 1942
condamné à l’exil. Son retour en 1991 au devant de la scène politique en
Albanie n’emporte pas le succès qu’espérait
Abaz Ermenji. Nationaliste, pour la « Grande Albanie », le
parti reste profondément anti-communiste.
COALLIA, anciennement l’Aftam association fondée en
1962 pour intervenir entre autre dans l’hébergement social (en lien avec
les collectivités territoriales, COALLIA réhabilite et reconstruit les
établissements sociaux permettant d’héberger des travailleurs et publics
fragilisés), pour la promotion
sociale ( pour offrir un hébergement transitoire spécifique aux personnes
en situation d’urgence, demandeurs d’asile en Cada, réfugiés en CPH –centre
provisoire d’hébergement-…), pour la formation professionnelle et
l’accompagnement social.
CADA :
centre d’accueil pour demandeurs d’asile
CNDA : cour
nationale du droit d’asile, juridiction administrative spécialisée remplaçant
depuis le 22 novembre 2007 la Commission de recours des réfugiés, à la suite du
rejet de la demande d’asile par le directeur général de l’OFPRA, le demandeur
d’asile peut contester cette décision administrative en s’adressant à la CNDA.
Si le recours manque d’éléments sérieux de nature à remettre en cause la
décision, il est rejeté par ordonnance. Dans le cas contraire, il est mis en
l’état en vue de son enrôlement à une audience. Après l’audience devant la
formation de jugement, la décision est lue en audience publique dans un délai
de quinze jours à trois semaines. Le sens de la décision (reconnaissance du
statut de réfugié ou de la protection subsidiaire ou rejet du recours) est
affiché dans les locaux de la cour. La décision est notifiée au requérant et à
l’OFPRA. Le recours peut faire l’objet d’un pourvoi devant le Conseil d’Etat,
juge de cassation.
L comme Loi :
Convention de Genève
loi n°52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile et
prévoyant la mise en place de l’OFPRA, modifiée par la loi du 10 décembre 2003
code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit
d’asile.
Circulaire Valls du 28 novembre 2012 concernant la
régularisation par le travail des travailleurs étrangers sans papiers…
OFPRA : office français de protection des réfugiés et
apatrides. Etablissement public chargé d’assurer l’application des conventions,
accords ou arrangements internationaux concernant la protection des réfugiés.
Il est placé sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur.
S comme Statut :
d’après le portail du droit français site
internet… wikipedia
Réfugié …
Apatride : selon la convention de New-York du 28
septembre 1954 « toute personne qu’aucun État ne considère comme son
ressortissant par application de sa législation ».
Protection subsidiaire remplace l’asile territorial…personne
qui ne bénéficie pas du statut de réfugié mais qui est exposée dans son pays à
l’une des menaces graves suivantes (peine, de mort, torture, peines ou
traitements inhumains ou dégradants). S’agissant d’un civil, une menace grave,
directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence
généralisée d’une situation de conflit armé interne ou international. Depuis la réforme 2003, c’est l’OFPRA et non
plus le ministère de l’Intérieur qui a la compétence d’attribuer la protection
subsidiaire.
Pays dits « d’origine sûre » liste établie par le
conseil d’administration de l’OFPRA (article L722-1) l’admission en France d’un
étranger qui demande à bénéficier de l’asile peut être refusée, entre autres,
si cet étranger a la nationalité d’un pays considéré comme un « pays d’origine
sûr» La liste établie le 30 juin 2005
est modifiée le 3 mai 2006 par l’ajout
de cinq pays parmi lesquels figure l’Albanie. Par arrêt du Conseil d’Etat du 13
février 2008, l’Albanie est finalement retirée.
Politique et
économie
Évènements nationaux
|
Implication
politique de la famille L…(…EVENISHTI)
|
Évènements familiaux
|
|
1945-1985
|
Dictature communiste de Emver Hoxha
|
L’oncle de Mustafa,
à la tête du Balli Kombëtar fondé en 1942, est contraint à l’exil.
Le grand-père de
Mustafa meurt en prison ca 1953-1956.
Le père de Mustafa,
maçon de profession, meurt en 1968 d’un
curieux accident, retrouvé électrocuté sur un chantier …après avoir
refusé de coopérer avec la police secrète …
|
|
1985-1992 Ramiz Alia
|
Ap le départ de
Emver HOXHA, Ramiz Alia, son dauphin, lui succède
13 novembre 1990 vote sur la démocratisation du régime
ð
Période d’instabilité, trois gouvernements
entre février et décembre 1991
ð
Abaz Ermenji refonde le Front national en 1991
et en est le leader de 1994 à 1998
|
Mustafa croit aux promesses de démocratisation du régime…
|
1991, trois frères de Mustafa quittent
l’Albanie pour la France : Yuli l’aîné, 34 ans, Ilir le puîné, 25 ans,
et Qemal le dernier, 23 ans.
|
1992 -1997
|
Législatives en
mars 1992
Sali Berisha
(du Parti démocrate, droite populiste) président de la république de 1992 à
1997,
Berisha (cardiologue personnel de Enver Hoxha, 15 ans
secrétaire du parti à l’université …)
Législatives truquées du 26 mai 1996 (victoire du PDA de
Berisha, 122 sièges sur les 140). Les accusations de corruption avancées par
l’opposition entraîne une réaction du Conseil de l’Europe qui menace
d’interrompre toute coopération. De nouvelles élections ont lieu le 16 juin
mais ne changent pas la donne. Le journal « Libération » (du 28
mai) le présente comme le « moins pire » malgré les suspicions
d’autoritarisme et de corruption qui pèsent sur Berisha.
|
activisme déclaré… une partie des recettes de son commerce
permet de financer le parti politique.
Mustafa dénonce la position mensongère de Berisha qui se
dit de la droite modérée alors qu’il n’est qu’un ancien du régime…
l’ambassadeur américain considère Berisha comme étant
encore pire que Alia .
|
Mustafa après des études en mécanique, fabrique des portes
blindées, s’équipe en machines-outils puis ouvre un commerce prospère où
travaille également sa femme.
|
1997
|
Début 1997, scandale financier déstabilise le pouvoir
entraîne des révoltes populaires (plus de 1800 morts), émigration massive )
29 juin 1997, nouvelles législatives et référendum sur le
rétablissement de la monarchie dans un climat délétère ( attentats,
corruption)
Victoire du parti socialiste, démission de Berisha (23
juillet, création d’un gouvernement de coalition dirigé par le PSA.
|
Abaz Ermenji revient en Albanie sous la protection des
armées française et italienne pour conduire la campagne du balli kambëtar[1].
Mustafa est son garde du corps ainsi que Ilir, son frère revenu spécialement
de France. Ilir suspend ses études à Dauphine et à Grenoble.
Déclare le jeudi 17 avril : « la situation n’est pas supportable pour permettre des
élections libres tant que des hommes sont armés et le résultat des élections
ne sera pas libre ».
Le lendemain, 18 avril dans la ville natale des L… (…evenishti)
une bombe explose à l’université A.Xhuvani … sans faire de victimes…
Mustafa mène un combat politique d’arrière garde, il
nourrit et cache des opposants mais n’envisage toujours pas de partir. Il
croit en son pays.
|
Mustafa inscrit son fils dans une école de musique pour
qu’il fasse du violon son métier. (2h de violon par jour, 1h30 le soir, plus
des cours particuliers).
Ilir prend peur, a risqué sa vie. Il retourne en France
pour finir ses études.…
1997, Ilir repart pour la deuxième fois en France suivie
de Lumturi sa sœur âgée de 37 ans.
|
2005 - 2013
|
Sali Berisha,
premier ministre de 2005 à 2013.
|
2006, décès en France de la mère de Mustafa
|
|
28 juin 2009
législatives
|
Victoire contestée de l’Alliance pour le changement (AN) dominée par le Parti démocrate
d’Albanie (PDSh) du premier ministre Sali
Berisha (70 députés sur 140), échec de l’Union pour le changement (BN) dominée par le Parti socialiste
d’Albanie (PSSh) et le maire de Tirana Edi
Rama ( 66 députés), 4 sièges reviennent à l’Alliance socialiste pour l’Intégration, dominée par le Mouvement socialiste pour
l’intégration (LSI) d’Ilir Meta
è
2ème gouvernement de Berisha grâce à l’alliance de l’AN avec LSI.
|
Pression sur Mustafa et sa famille pour le
contraindre d’arrêter la politique
21 janvier 2011, manifestation et boycott de l’opposition
manipulée par les socialistes. (dénonciation de la fraude aux législatives,
la corruption, le chômage et la pauvreté).
Le parti de l’opposition sort renforcé des élections
municipales (PSSH). Bamir Topi (LSI)est évincé de la présidence de la
république, , le parti LSI sort de l’alliance avec l’AN et se rapproche d’Edi
Rama (BN) dont il avait pourtant fait scission en 2004.
|
Pression fiscale pour fragiliser son commerce, vol dans la
caisse, tentative de kidnapping du petit frère Stivi,
Agression de Denis (coupure de 1 cm au dessus du menton)
è
août 2012 Mustafa fait sortir sa femme et ses deux
enfants d’Albanie pour les mettre hors danger. À la demande de son épouse, il
les rejoint en novembre en France.
|
2013
|
Législatives,
échec du parti du centre-droit au pouvoir, l’Alliance pour l’emploi, la prospérité et
l’intégration (APMI) Sali Berisha 39,4% des voix (56
députés)
victoire de Edi Rama et son parti du
centre-gauche l’Alliance pour une
Albanie européenne (ASHE) (57,7%, 84 députés) Bamir Topi (Nouvel Esprit démocratique –FRD- fondé en 2012,
centre-droit-, 1,7% des voix) élu par l’assemblée
(kuvendi) président de la
république
Alliance Rouge et Noire (AK) nationaliste, conservateur et
populiste fondé en 2012 de Kreshnik Spahiu (aucun élu)
|
Le balli Kombëtar a disparu du paysage politique
|
1992-2013 : « un retard de quatre siècles rattrapé ces
vingt dernières années… grâce à l’endettement, l’argent sale, les transferts
d’argent des émigrés… » d’après Raffaelo Nigro… Mon Albanie vingt ans après, dans Courrier
international n°1204 du 28 novembre au 4 décembre 2013. « Le pays s’ouvre au tourisme balnéaire. Il
reste beaucoup à faire (sites à l’abandon ayant souffert de plus de 40 ans du
régime de Hoxha). Le réseau routier naît de rien … encore beaucoup de
contrées isolées… migration urbaine très forte… Tirana a franchi le million
d’habitants , avec en vingt ans le déferlement
de 500.000 paysans venant des montagnes environnantes ! »
2009 : l’Albanie intègre l’OTAN ;
16 octobre 2013 :
l’Albanie candidate à la candidature d’adhésion à l’Union européenne. Des
réformes structurelles sont attendues. La commission exige la dépolitisation de
la fonction publique, la lutte contre la corruption et le crime organisé, la
protection des droits de l’homme et l’indépendance de la justice ; Balli
Kombëtar est à la dérive… parti historique
depuis 1940, Mithat Frasheri (président du parti en 1940) meurt aux EUA…
La relève est assurée par Mustafa, Abaz Ermenji (Abaz Zenea demi-frère de Feruze,
mère de Mustafa) en France, interdit de revenir en Albanie… Mustafa, Ilir et
Hysen étaient gardes du corps de Abaz Ermenji pendant 6 mois… quand il a tenté de reprendre en
main le pays (vient en 1996 puis revient
en 1997 pour se porter candidat à la présidentielle) dans un contexte de guerre civile (à Vlora
comme ailleurs, des engagés par le président Sali Berishaavec ont des armes pour tirer en l’air…).
Lire
Roman, Raffaelo Nigro, Les
Feux du Basento (1989, éd. Verdier), La Baronne de l’Olivento (1990, éd.
Verdier) sur la culture méridionale
et les échanges historiques entre l’Albanie et l’Italie du Sud.
Poésie, Ismail Kadaré, poète de la conscience sociale,
critiqué par le régime dans les années 80 pour son « subjectivisme »
nostalgique.
Jérôme Valluy, Rejets
des exilés – Le grand retournement du droit de l’asile, Editions Du Croquant, 2009.
Cizia Zykë, grec par sa mère et albanais par son père, dans
la Légion étrangère, auteur de quatre romans dénonçant les trafics en Albanie
depuis les années 1990 : Les Aigles Editions du Rocher 2000, Au nom du père Editions du Rocher 2003
[1] Le
retour au devant de la scène du Balli kombëtar en 1997 est un échec en raison
de divisions internes, de conflits de personne entre Hysen Selfo et Abaz
Ermenji. L’ancien a décidé de fonder le Nouveau Front national. Aux élections
de 2005, le PBK n’obtient aucun siège car la Commission centrale électorale
refusa la requête du PBK de rejoindre l’alliance
pour la Liberté, Justice et le Bien-être sous prétexte qu’il dépassa la date butoir
d’application. Le PBKD qui avait rejoint la coalition n’est pas parvenue pour
autant à gagner des sièges. D’après Party
politics in the western Balkans édité par Vera Stoiarova et Peter Emerson sur
le site books.google.fr
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